Le radeau de Phlegyas arriva sur l’autre rive du marais. Il regarda la demi-elfe descendre en insistant sur une certaine partie de son corps. Elle lui exprima sa reconnaissance pour son aide. « C’est moi qui te remercie d’avoir été aussi chaleureuse avec moi » fit-il en lui souriant. La jeune femme eut un petit frisson qu’elle peina à dissimuler. Elle s’éloigna en sentant le regard de Phlegyas qui devait sûrement fixer son postérieur. Il valait mieux ne pas y penser. Minos dut intervenir une nouvelle fois.
« Tu sais que cette femme n’est pas pour toi ?
— Oui j’en suis conscient. Si jamais vous devez encore faire retarder une femme, n’hésitez pas à demander. Même si c’en est une autre, ça ne me dérange pas du tout.
— Arrête de lui mater le derrière, c’est agaçant !
— Oups, pardon. Je retourne à mon poste.
— C’est ça, fais donc ça. »
Phlegyas fit voguer son radeau plus loin dans le marais. Néanmoins il n’oubliera jamais cet instant chaleureux. Il se mit à imaginer des scènes assez osées avec la demi-elfe. Oh si seulement cela avait pu se produire, il aurait été comblé. Pour le reste du chemin, Enliana tenta de se faire la plus discrète possible. Selon elle, son retard était suffisamment conséquent. Bon, ce fut en partie sa faute, elle avait dormi deux heures. Et elle serait sûrement restée plus longtemps dans les bras de Queen. Mais à quoi elle pensait là ? C’est un spectre ! Et ils avaient sûrement reçu l’ordre de lui mettre des bâtons dans les roues. Néanmoins pourquoi ne pas l’affronter ? Ils sont si vicieux que cela ? Ou alors ce que disait Phlegyas était véridique ? Ils ne voyaient que peu de femmes ? Oui c’est vrai, Queen lui avait dit. L’autre spectre ne faisait que confirmer ses dires. L’Alraune lui avait également avoué qu’Hadès ne voulait pas qu’on l’abîme. Mais pourquoi cela ? Enliana pouvait très bien se défendre ! Les spectres étaient-ils si robustes ? Sans doute ne parviendrait-elle pas à en vaincre ne serait-ce qu’un seul. Hadès devait sûrement connaître la puissance de son armée.
Il fallut une demi-heure à la jeune femme pour traverser la troisième prison, celle où les âmes faisaient rouler de grosses boules. Avec le brouhaha que cela rendait, les spectres n’avaient pas du tout remarqué sa présence. Tant mieux. Enliana ne voulait pas se retrouver enlacée encore une fois. Elle avait d'autres choses à penser. La demi-elfe poursuivit sa route, marchant dans le sable. Elle ne reconnaissait pas le chemin. Elle n'était pas passée par là avec Minos tout à l'heure. Où se trouvait-elle ? En haut de la colline, elle y verrait certainement mieux. Elle regarda à sa droite. « Oh ! Le joli jardin de fleurs. Ça y est, je sais où je suis ! » Enliana s'enthousiasma, mais elle n’osait plus faire appel au sablier, de peur de trop psychoter sur le temps restant. Elle se retourna et vit au loin le tribunal de Rune. C’est là-bas qu’elle devait de rendre. Le fleuve était désormais visible, elle s'approchait du but. Elle s’apprêtait à redescendre de la colline lorsqu’elle se mit à crier. Orphée fut alerté par ce bruit étrange qui résonna dans la vallée. Cela venait du temple de Pharaon. Enliana s’engouffra de plus en plus dans la cheminée. Ses jambes commençaient à balancer dans le vide. « Oulah je n’aime pas ça ! » se dit-elle. Quelques secondes plus tard, elle chuta et atterrit sur des âmes.
« Je suis vraiment navrée » fit-elle avant de voir sur qui elle était tombée. Elle vit ces esprits tout autour d’elle. Enliana s’écarta vivement et se cacha derrière une colonnade étendue sur le sol. Elle enleva le surplus de sable qu’elle avait dans les cheveux, sur le visage et sur sa robe. Le temple semblait en ruine et une mauvaise odeur envahissait le bâtiment. C’est là qu’elle vit le chien à trois têtes. Cerbère dévorait sans pitié les âmes en panique. Encore un spectacle désolant. Le chien s’approchait inconsciemment de la demi-elfe alors elle recula pour ne pas être vue. Le spectre était sur cette même colonne, il se laissa glisser derrière elle. Seulement il ne fut pas suffisamment discret. La demi-elfe se retourna immédiatement. Elle se trouva devant un homme aux cheveux mi-long, bien lisses et de couleur ébène, ses yeux étaient d’un jaune proche de l’or, grand, fin et il portait son sombre surplis égyptien.
« Tu n’es pas morte ?
— Non.
— Bien, ça va me changer des âmes que je croise habituellement.
— C’est quoi ce temple ?
— Tu es dans la deuxième prison des Enfers et j’en suis le gardien, je me nomme Pharaon. Tes oreilles sont taillées en pointes, c’est assez particulier. Je croyais que seul Markino avait cette singularité.
— C’est normal, je suis une demi-elfe.
— Une demi-elfe ici ? Que viens-tu faire dans un pareil endroit et surtout en étant toujours en vie ?
— Eh bien, en fait je cherche à partir justement. Comme vous le dites je suis vivante donc je n’ai rien à faire ici vu qu’apparemment c’est le royaume des morts.
— Le problème, c’est que si tu tentes de sortir de la prison, Cerbère va chercher à te dévorer. Ce serait dommage d’esquinter une jolie créature comme toi.
— Oh je vous vois venir. Je vous préviens, pas question de vous câliner durant une éternité ! Je n’ai pas que ça à faire. J’aimerais rentrer chez moi.
— C’est où chez toi ?
— Sur Laethion serait déjà un bon début.
— Je ne connais pas Laethion.
— Peu importe ! Il faut que je sorte !
Elle s’éloigna de Pharaon mais ce dernier la rattrapa.
— Je ne te laisserai pas partir !
— Quoi ?! Vous ne pourrez pas m’en empêcher. Si je veux sortir, je sortirai ! Que ça vous plaise ou non ! À moins que vous ne vouliez en découdre ? Je vous préviens, ce n’est pas parce que j'ai l'air menue que je suis aussi faible que vous le croyez !
Le spectre ne fut pas du tout impressionné par les menaces de la demoiselle. Il la regarda droit dans les yeux.
— Je n’ai pas l’intention de lever la main sur toi. Je veux bien ordonner à Cerbère de te laisser passer mais à une condition, ajouta-t-il en fixant ses lèvres.
Elle éprouva une certaine lassitude.
— Encore, laquelle ?
— Accorde-moi un baiser.
— Mais vous voulez rire ?! Phlegyas m’a déjà fait ce coup-là. J'ai perdu un temps fou avec son câlin.
— Le nocher t’a enlacé ? Et moi je n’aurais même pas droit à un baiser ?
Finalement elle aurait mieux fait de se taire. Sa proposition ne l'enchantait pas du tout. Son baiser, elle l’avait réservé à un seul spectre… Mais qu’est-ce qui lui prend de penser cela ? En effet, elle avait dit à Queen qu’il lui était réservé. Néanmoins il semblerait qu’elle ne pourra pas respecter sa parole. Quelle frustation !
— Oh mais vous êtes vraiment agaçant vous les spectres !
— C’est toi qui n’es pas logique. Si Phlegyas a eu droit à un câlin, j’ai droit à un baiser. Ensuite je te laisserai sortir à ta guise. C’est promis.
Décidément, le choix ne se présentait pas à la demi-elfe. Elle hésita un peu. Ce n’était pas facile d’approcher un inconnu, encore moins de l’embrasser. Elle posa furtivement ses lèvres sur les siennes et s’éloigna. Néanmoins il la retint par la taille.
— Oh non, non, non, tu ne m’auras pas comme ça. Tu as accordé combien de temps à Phlegyas pour son câlin ?
— Une certain durée.
— Je suis sûr que tu peux faire mieux que ça. Laisse-moi te guider.
Il approcha son visage du sien mais elle mit ses doigts sur ses lèvres.
— Faites au moins partir ce chien. L’odeur est vraiment désagréable.
— Si c’est ça qui t’incommode, viens. »
Pharaon l’emmena dans une autre salle, là où l’odeur n’était plus un problème. Il lui donna de quoi se débarbouiller le visage. Ensuite il l’installa rapidement sur sa couchette et l’embrassa langoureusement. Enliana n’eut pas vraiment le temps de voir ce qui venait de se passer. La scène se déroula si vite. Et il ne s’était pas contenté des lèvres, il lui embrassa le cou, la poitrine, remonta de l’autre côté et revint aux lèvres. Ce fut assez enivrant. Pourquoi Queen ne s’était pas occupé d’elle comme cela ?! Elle en aurait eu envie ; là elle était sur son petit nuage. Elle apprécia même ses caresses sur ses jambes, ses baisers sur son épaule, sa nuque. Mais cela faisait combien de temps qu’il l’embrassait ? Il avait eu ce qu’il voulait, maintenant il devait la laisser partir.
« Ça fait combien de temps qu’on est là ?!
— C’était savoureux au point de te faire perdre la notion du temps ? J’embrasse si bien que ça ? J’en suis ravi, lui dit-il d’un air rêveur.
— Vous avez eu ce que vous vouliez maintenant laissez-moi partir. De toute façon, nous sommes restés assez longtemps, n'est-ce pas ?
— Même pas vingt minutes, n’exagère pas.
— Vingt minutes ?! C’est beaucoup trop long !
— Oh non, pour moi c’était beaucoup trop court. Mais ne panique pas comme ça, je te ramène à l’extérieur.
Pharaon se redressa et l’aida se lever. Ils sortirent de la pièce. Enliana resta derrière le gardien. Elle craignait un peu ce chien robuste. Son regard était menaçant. Le spectre le fit éloigner vers d’autres âmes puis invita la demoiselle à le suivre. À l’extérieur Orphée arriva précipitamment et son regard se posa directement sur elle.
— C’est toi que j’ai entendu crier tout à l’heure ?
— C’est fort possible.
— Est-ce que tout va bien ?
— Oui tout va très bien Orphée, rétorqua Pharaon. Tu peux retourner voir Eurydice.
— Cette créature ne vient pas d’ici. Que fait-elle là ?
La demi-elfe préféra s’éloigner car elle sentit une certaine tension entre les deux hommes. Elle regarda à l’horizon.
— Je n’en sais rien, répondit Pharaon.
— C’est par là la sortie ? demanda Enliana en pointant le tribunal du doigt. Je dois vite y parvenir avant qu'il soit trop tard. Combien de temps me reste-t-il ?
Le sablier apparut devant eux. Il était plus petit qu’avant et le sable avait bien coulé.
— Il te reste une demi-heure, remarqua Orphée.
— Est-ce possible de se rendre à la porte des Enfers en une demi-heure ?
— Pourquoi ?
— Je dois sortir d'ici avant le temps imparti, sinon Hadès me fera prisonnière et il me mettra au service de Minos.
D’une seconde à l’autre, Orphée la prit par la main et courut vers le pont. Surprise, Enliana le suivit comme elle put.
— Il faut qu’on se dépêche si tu veux t'en aller. Une demi-heure c’est un peu juste et il y a encore le fleuve à traverser ! Mais qu’est-ce que tu faisais avec Pharaon ?!
La demi-elfe ne répondit pas. Elle ne pensait pas qu’il lui restait si peu de temps. Quelle idiote elle a été !