Pendant la traversée d’Enliana aux Enfers.
La princesse était de plus en plus inquiète. Cela faisait trop longtemps que Siemund ne lui avait pas écrit. Parfois il lui arrivait de mettre du temps avant de lui donner des nouvelles. D’ailleurs il s’en excusait dans ses courriers, avec son âge avancé et le travail au champ, l’amant se fatiguait bien vite malgré l’aide de sa fille. C’était pour cette raison qu’Hildarel ne s’alarmait pas aussi facilement. Mais là le dernier courrier de son compagnon remonte à plus d'un an. L’elfe se rendit discrètement au bureau de l’intendant de Linione. La ville fut construite dans les arbres et les elfes avaient pris soin de respecter la nature, les maisons principalement faites en bois. L’intendant était le seul homme en qui elle pouvait avoir confiance. Il avait été le seul à accepter l’amour qu’elle éprouvait pour Siemund. Elegun était capable de voir certaines choses, de façon brève certes mais il pouvait lui donner un début de piste. Lorsqu’Hildarel se présenta à lui, l’intendant était déjà occupé avec un autre elfe. Alors elle patienta à l’extérieur. Mais malgré son air stoïque, l’intendant devina que quelque chose préoccupait l’esprit de la jeune femme. L’homme aux longs cheveux blonds se dépêcha de finir son affaire avec l’elfe, sans pour autant bâcler sa tâche, puis il s’avança vers elle tandis que l’autre s’éloignait.
« Bonjour Hildarel, quel est le souci ?
— Bonjour Elegun. Comme vous le voyez, je suis vraiment ennuyée. Siemund ne m’a plus écrit depuis longtemps.
— À quelle fréquence recevez-vous vos lettres d’ordinaire ?
— Environ tous les six moins maintenant. Mais la dernière remonte à plus d’un an. J’espérais que vous puissiez me dire 'il va bien ou s’il lui est arrivé malheur.
— Je vois. Venez avec moi. »
L’intendant se dirigea vers un escalier en colimaçon creusé dans le tronc d’un arbre. Ils descendirent jusqu'à aboutir dans une pièce où se trouvait une stèle représentant une grande feuille avec en son centre un miroir circulaire entouré d’une bordure dorée. C’était à travers celui-ci qu’Elegun pouvait voir ce que d’autre ne voyait pas. Il le fixa pendant un moment. Rien ne semblait se produire aux yeux d’Hildarel. Elegun distinguait un brouillard faisant apparaître des images. Une tombe avec une croix où il était gravé « Siemund ». Enliana devant le bureau d’un procureur lui disant « Tu es dans le royaume d’Hadès, seigneur des morts, aux Enfers. » Puis les visions disparurent, le miroir devint vide, c'était tout ce qu’il avait bien voulu lui montrer.
« Enfer, Hadès. Là est votre fille, Hildarel. Quant à votre amant… (Il se tourna doucement vers elle.) Je suis vraiment navré mais il n’est plus de ce monde.
Elle baissa les yeux et tenta de retenir ses larmes.
— Enfer, Hadès ? Qu’est-ce que cela signifie ?
— Ce sont les mots qu’un homme a adressé à votre fille. Un tel lieu n’existe pas dans notre monde. Aucun seigneur des morts ne s’appelle Hadès sur Laethion. J’imagine donc qu’elle se trouve de l’autre côté des portes des sentinelles. De plus il ne semblait pas très accueillant. La pièce était sombre, vide et froide. Nous ne sommes pas des elfes noirs, ce n’est pas endroit pour un elfe d’origine pure ou même un demi-elfe. Vous devez la ramener à la lumière. Dans cet endroit elle n’y trouvera que la mort. Nous ne sommes pas faits pour vivre dans les ténèbres.
— Je n’ai pas l’intention de la laisser là, répondit-elle avec une ferme conviction. Merci Elegun. »
La jeune femme salua l’intendant puis elle prit congé. Elle retourna dans sa petite maison et rédigea la dernière lettre de sa vie. C’était la seconde fois qu’elle s’adressait directement à sa fille car celle-ci refusait de lui répondre. Elle tenta de s'appliquer autant que possible pour écrire cet ultime courrier, peut-être le plus important de son existence. Elle le signa, plia la feuille et la mit sous enveloppe. Elle prit celle-ci et la posa sur sa main bien ouverte. « Nilemus o Enliana. » Elle flotta, émit une lumière pâle et disparut. Celle-ci réapparut dans le sac de la demi-elfe en émettant une lueur blanche vue par tout le monde.
« Qu’est-ce que c’est ? demanda Pandore.
La jeune femme regarda son sac besace, la lumière s’affaiblissait jusqu’à s’éteindre. Elle l'ouvrit et inspecta l’intérieur. Elle sortit l’enveloppe et la fixa curieusement. Il y avait un nom écrit dessus « Hildarel ».
— C’est une lettre de ma mère.
— Lis-la.
La jeune femme sortit la feuille de son enveloppe et en lut rapidement le contenu. Sa gorge s’était serrée au fur et à mesure de la lecture.
— Qu’est-ce que ça dit ? interrogea Pandore.
— C’est écrit en daianien.
— Traduis-la pour nous.
— Mais il y a des choses très personnelles dedans !
— Lis-la sans discuter Enliana, ordonna Hadès.
Aucun respect pour la vie privée des gens. Elle était frustrée cependant elle dut la traduire contre son gré. Qui sait ce que Hadès aurait pu lui faire.
Enliana,
Je sais que ma lettre va te surprendre ou t’agacer mais s’il te plaît, lis-la jusqu’au bout. Ton père ne m’a plus écrit depuis un moment. J’étais très inquiète, c’est lui qui me donnait de tes nouvelles. Je comprends que tu ne veuilles plus m’adresser la parole. Ne crois pas que je ne t’ai jamais voulu. Au contraire tu es le fruit d’une union a priori impossible. Te voir partir avec Siemund a été un véritable déchirement pour moi. Et la mort de ton père m’a beaucoup affecté.
Elegun, l’intendant de Linione capable de vision, m’a dit que tu te trouvais dans un lieu infâme. Il m’a dit « enfer » et « Hadès » sur Terre. Je n’en sais pas plus. Je ne te laisserai pas dans un pareil endroit ! (Elle stoppa la lecture, ce passage lui avait coupé le souffle la première fois. Hadès lui demanda de continuer.) […] Je ne perdrais pas de temps, je ne te laisserai pas seule. Tant pis pour ce que diront le roi et la reine, je viens te chercher immédiatement. J’espère qu’ils ne t’ont fait aucun mal sinon ils connaîtront la colère d’une elfe sylvestre !
J’arrive Enliana, je suis en chemin.
Ta mère,
Hildarel
— Alors nous aurons une demi-elfe et une elfe aux Enfers, affirma Hadès.
Elle fut scandalisée par ses paroles.
— Vous ne pouvez pas me retenir ici !
— Et pourquoi ça ?
— Des elfes n’ont rien à faire dans votre monde !
— Très bien, nous allons donc conclure un marché. Essaie de trouver la sortie des Enfers. Je te laisse douze heures pour y parvenir. Si tu y arrives, tu seras libre de partir et de retrouver ta mère. Mais si tu échoues, tu seras au service de Minos.
— Quoi ?! Vous voulez rire ?! Il n’en est pas question !
— Je ne te laisse pas le choix. Et baisse d’un ton lorsque tu t’adresses à un dieu ! Un sablier apparaîtra à ta demande pour gérer ton temps. Maintenant pars vite, le sable coule.
Elle se tourna vers Minos.
— Alors c’était pour ça que tu voulais voir Pandore ?! Matochak ! Mibelak ! Digustas me !
La demi-elfe ressortit de Giudecca en furie et en baragouinant des insultes en daianien.
— Je crois qu’elle vient de t’avouer tout son amour pour toi Minos, se moqua Eaque.
Pandore annonça aux juges que la guerre contre Athéna allait bientôt commencer. Elle leur demanda de réunir tous les spectres afin qu’elle leur explique la stratégie à mener.
[Un elfe enfermé dans les ténèbres attrape une pâleur maladive, ses forces s’amenuisent lentement jusqu’à en mourir. Peut-être que ta partie humaine te permettra de survivre plus longtemps qu’un elfe pure. Utilise la formule de soin « Sivanemus me » pour résister autant que possible] Enliana était restée à l’extérieur, son foulard toujours sur ses épaules. Minos sortit également du bâtiment. Il la regarda s’éloigner tandis que les deux autres juges partaient à la recherche des spectres, dispersés un peu partout dans les Enfers afin de donner les directives. Minos décida de suivre la jeune femme en toute discrétion.
À Linione, Hildarel se précipita vers un petit coffre disposé sur une table. Elle l’ouvrit et en sortit une dague à lame noire. C’était une arme huonsan, dite la tueuse d’elfe à cause du poison qu’il répandait dans le corps de ses victimes les menant ainsi à une mort certaine. À chaque coup, une nouvelle dose de poison se diffusait et la lame en était inlassablement chargée. De toutes les armes, celle-ci étaient la plus redoutée des elfes. Pourquoi prendre un tel risque ? La jeune femme semblait déterminée à sortir sa fille de cet « enfer » et il n’était pas question qu’un ennemi lui barre la route. S’il tentait quoi que ce soit pour l’empêcher d’avancer, il le paierait de sa vie. Hildarel attendit la nuit pour se sauver du palais car la plupart des elfes profitaient de cet instant afin d'entrer en méditation. Aucun ne la verrait s’enfuir vers la porte ouest, personne ne pouvait plus la retenir, pas même ses propres parents, les souverains de ce royaume. La sentinelle de l’ouest ne vit aucun inconvénient à laisser passer Hildarel. Il savait que les elfes étaient capables d'une grande discrétion. Cette porte la mena tout droit en Grèce. Elle mit sa capuche verte afin de dissimuler ses oreilles pointues puis s’aventura dans ces nouvelles terres.