Minos sortit de la salle de bain. Les servantes entourèrent Enliana d’un mètre ruban, dans un sens puis dans l’autre, les tours de bras. Elles prirent toutes les mesures dont elles avaient besoin et disparurent aussitôt. Une autre arriva avec un nécessaire de toilette qu’elle posa sur la petite table (située à côté de la baignoire sur pied) avant de disparaître à son tour. La jeune femme posa son sac à terre. Une servante apparut, vida le sac et l’embarqua. « Hey ! » Trop tard, la domestique n’avait même pas fait attention à elle. Heureusement son ocarina ne fut pas abîmé. Enliana le cacha dans son foulard avec son petit couteau, sa brosse à cheveux, sa gourde et son médaillon. C’était le seul souvenir qu’elle avait de sa mère, un bijou avec une pierre blanche polie entourée de deux petites feuilles en argent qui se rejoignaient d’un bout à l’autre. Elle fit un nœud à son foulard pour tout protéger convenablement. Elle enleva ensuite cette robe dégoûtante et sa culotte. Une autre servante embarqua furtivement le tout. Sûrement pour les nettoyer pendant qu’elle se lavait. Enliana se mit dans la baignoire. Avant de la remplir, elle passa la douchette sur elle afin d'éliminer un maximum de sang. Cette vision fut vraiment une horreur pour elle. Ce liquide rouge ne semblait pas s’en aller. Elle ne pouvait pas faire couler son bain si elle était encore pleine de sang.
L’eau mit un certain avant de s’éclaircir et redevenir pure. Enliana pensait qu’elle n’aurait jamais su s’en défaire. Elle put enfin remplir la baignoire d’une eau tiède. Elle prit le shampoing et se lava plusieurs fois les cheveux. Elle voulait être certaine qu’ils soient propres. Ensuite elle se savonna lentement. Cette escapade dans ce lieu maudit l’avait visiblement épuisée. Une fois qu’elle eut terminé, la demi-elfe s’allongea dans la baignoire, reposant les bras sur les parois. Ses paupières s’étaient fermées d’elles-mêmes. Le temps paraissait très long au Griffon. Mais que faisait-elle là-dedans ? Il lui avait dit qu’elle pouvait prendre son temps, seulement il était de retour depuis au moins une heure. Il entra dans la salle de bain et il la découvrit complètement endormie. La mousse avait presque totalement disparu, l’eau était devenue froide. La pâleur de son visage l’inquiéta. Il posa la main sur sa joue, son cou ; elle n’était pourtant pas froide. Et elle respirait encore. Il la secoua pour la réveiller.
« Hey ! Enliana. Enliana ! (La demi-elfe eut du mal à s'éveiller mais elle fut surprise de voir Minos dans la salle de bain. Sa première réaction fut de cacher sa poitrine.) Ce n’est pas la peine de faire la pudique, je les ai déjà vu tes petites pommes toutes rondes. Je peux croquer dedans ?
Enliana resta bouche bée. Elle sentit son cœur s’accélérer mais elle ignorait pourquoi. Sans doute à cause de cette remarque désobligeante qui l'avait fait rougir. Elle ne devait pas rester sans rien dire.
— Mais ça ne va pas ?! Vieux sénile !
— Je n’suis pas vieux ! Tu sais que c’est dangereux de s’endormir dans une baignoire ?! Tu aurais pu finir noyée et je n’ai pas envie de me retrouver avec ton cadavre sur les bras !
— La belle affaire. Vous seriez pourtant débarrassé d’une enquiquineuse !
— Dépêche-toi de t’habiller au lieu de dire des conneries. Pandore nous attend cette fois. Et elle a hâte de te rencontrer.
— Dans ce cas, je vous prierai de sortir de la salle de bain.
— Voilà qu’elle me chasse de ma salle de bain maintenant. Sors de l’eau et habille-toi.
— D’accord, je le ferai mais vous sortez avant.
— Je ne bougerai pas d’ici.
— Alors pourriez-vous au moins vous tourner ? (Minos arbora un sourire narquois puis il pivota lentement.) Et que je ne vous entende pas vous retourner. »
Le juge renforça son sourire. Enliana se déplaça sur le côté de la baignoire pour attraper une serviette. Elle se leva tout en le surveillant. Elle l’enroula autour d’elle et sortit de la baignoire. En se séchant, elle vit une robe posée sur une chaise et il y avait aussi un sac semblable au sien mais bordeaux. Enliana enfila une culotte couleur chair avec de la fine dentelle blanche, puis la robe, de la même teinte que le sac, cintrée et arrivant à mi-mollet. Il y avait un voile transparent par-dessus la robe. Deux pièces en forme de triangle cachaient sa poitrine et au niveau des épaules trois fines chaînettes étaient fixées et redescendaient un peu sur ses bras. En revanche, elle n’avait pas de manches. La jeune femme enfila les ballerines et rangea ses affaires dans le sac. Elle prit sa brosse, se posta devant le miroir et les démêla ses cheveux tandis que Minos observait ses courbes attrayantes. Il s’était retourné pendant qu’elle enfilait la robe. Son initiative n’avait pas plu à la demoiselle. Le vicieux ! Elle s’en serait doutée ! Elle rangea la brosse dans son sac et annonça qu’ils pouvaient y aller. La jeune femme sortit son foulard blanc à fleurs rouges et le posa sur ses épaules. À l’extérieur il ne faisait pas chaud. Ils sortirent de Tolomea, la résidence de Minos, et se dirigèrent vers Giudecca. Rhadamanthe et Eaque étaient déjà présents. Apparemment leur supérieure aurait convoqué les trois juges. Ils se tenaient tous les quatre face aux escaliers, là où Pandore les dominait. Enliana resta debout devant les trois hommes.
« Voici donc la demi-elfe dont tu m’as parlé Minos. (Pandore descendit quelques marches pour examiner plus facilement son « invitée ».) J’étais sceptique mais tes dires s’avèrent véridiques. D’où viens-tu Enliana ? (La demi-elfe ne souhaitait pas répondre. Elle avait oublié le nom de son village car celui-ci lui importait peu.) Sa Majesté Hadès se trouve derrière ce rideau et il t’observe. Je te déconseille de le froisser, sinon tu subiras sa colère. Ne sois pas effrayée, réponds à ma question.
— Je viens d’un peu partout. J’ai beaucoup voyagé avant d’arriver ici. Je viens des terres que nous appelons Laethion.
— Un autre monde que le nôtre ? Un univers où vivent des créatures magiques ? Comment pouvons-nous l'atteindre ?
— Je suis navrée mais je ne saurais vous le dire. C’est une sorcière qui m’a amené ici. Je n’avais pas l’intention de m’introduire chez vous sans y être invitée, mais je n’ai pas vraiment eu le choix. Cette vieille chouette a eu peur que je la cambriole. Elle était très en colère et elle m’a projeté ici. Apparemment ce n’était pas la première fois qu’on la volait. C’est peut-être un de mes défauts. Je m’aventure là où je ne devrais pas me trouver.
— C’est une histoire étrange.
— Pour vous peut-être mais pas pour moi. On croise souvent des initiés quand on voyage à travers Laethion.
— Pourquoi t’appelle-t-on demi-elfe ? Et c’est quoi un initié ?
— Je suis née d’un parent humain et d’un parent elfe. Chez moi, un initié est une personne possédant des pouvoirs magiques.
— Ce n’était pas compliqué de vivre avec deux parents différents ?
Cette question était très personnelle. Qu’est-ce que cela pouvait bien lui faire ? Enliana ne voulait pas poursuivre la discussion en présence des juges. Mais le regard insistant de Pandore l’obligeait à répondre rapidement. « Je n’ai vécu qu’avec mon père, mon parent humain. »
— Réponds ! ordonna Rhadamanthe.
— Elle est en train de le faire, assura Pandore. Elle communique par télépathie. Parle-moi de toi Enliana, dis m’en plus sur les elfes.
« Je ne peux pas vous dire grand-chose sur eux car je n’appartiens pas à leur peuple, ni à celui-ci des humains. »
— Mais à quel peuple dépends-tu dans ce cas ?
« D'aucun. Les elfes ont chassé mon père lors de ma naissance. Ils ont empêché ma mère de le suivre d’après ce qu’il m’a dit. »
— Tu n’appartiens pas non plus au peuple humain ?
— Je suis une demi-elfe, pas une humaine.
— Une étrange créature, proche de l’erreur de la nature.
— Je ne vous permets pas m’insulter !
Elle comptait s’approcher de Pandore mais Rhadamanthe la retint.
— Reste à ta place ! somma-t-il.
— Ôtez vos sales pattes ! répliqua-t-elle en le repoussant.
Hadès regarda la scène avec une grande attention.
— Ne me provoque pas Enliana, sinon tu risques de le regretter !
— Ah oui ?! J’attends de voir de quoi vous êtes capable !
— Espèce d’insolente ! Tu mérites une bonne correction !
— Tu ne vas tout de même pas t’en prendre à une femme Rhadamanthe, objecta Pandore.
— Certains ne se sont pas gênés, rétorqua Enliana en désignant Minos.
— Tu lui as fait quoi pour qu’elle soit aussi instable ?! s'énerva Rhadamanthe.
— Moi je suis instable ?!
— Exactement ! »
Il leva le poing mais Enliana contra son coup en lui lançant une liane. Le juge se retrouva saucissonné. Fait qui intéressa beaucoup Hadès. Cette demi-elfe était bien une créature magique. Quels autres pouvoirs possédait-elle ? La télépathie, cette liane, quoi d’autre ? Le seigneur des Enfers était impatient de le découvrir.