Chapitre 2 - Les premières prisons

Phlegyas2

« Le vent l’aura puni pour son insolence » pensa Minos. Mais qu’est-ce qui avait provoqué ce bruit inopiné ? Il examina le pont et remarqua une liane plantée dans le sol. L’autre extrémité descendait dans le vide. Le juge regarda en bas et vit Enliana qui se cramponnait à sa liane. Celle-ci basculait au gré du vent. Minos se moqua une fois encore alors que la demi-elfe tentait tant bien que mal à se hisser vers le haut.

 

« Quel spectacle savoureux. Tu vas savoir remonter ? (La demi-elfe grimpa sans se soucier des moqueries de ce juge infâme.) Tu es bien silencieuse tout à coup. Le vent t’aurait-il coupé le sifflet ? (Une bourrasque fit redescendre la demi-elfe de quelques centimètres. Elle serra la liane de toutes ses forces pour ne pas tomber dans ce vide obscur. Et les cris étaient constamment présents.) D’où tiens-tu cette liane ? (Enliana était bien trop occupée à fuir ses cris insoutenables pour accorder la moindre attention aux interrogations de Minos.) Réponds-moi !

Agacée, elle leva la tête et cria à son tour.

— Si vous voulez que je vous réponde, aidez-moi à remonter au lieu de rester là à ne rien faire !

— Oh ça non, je te laisse te débrouiller… Sinon je peux très bien couper cette liane. J’adorerais observer ta chute dans les abysses.

— Je croyais qu’on devait aller voir Pandore. Êtes-vous du genre à ne pas tenir vos engagements ?

— Cela ne tient qu’à moi. Je n’ai aucune obligation envers toi.

— Alors pourquoi me mener à cette personne ?

— Je suis certain qu’elle sera intriguée de voir une demi-elfe. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit ça ici. Allez, remonte, tu n’es plus si loin du bord.

Enliana se hissa doucement en faisant des pauses afin de reposer ses bras tout frêles. Puis au bout d’un moment elle gesticula sur sa liane de façon effarée, comme pour enlever la main de quelqu’un.

— Qu’est-ce que c’est que ça ?!

— Les âmes vont chercher à t’attirer vers eux.

Une main noire se posa à nouveau sur elle, puis une autre et encore une. Enliana les enleva une à une mais elles posèrent inlassablement. La liane s’abîmait au fur et à mesure qu’elle frottait le bord du pont. Minos s’attendait à des cris de détresse de sa part, toutefois la demoiselle garda son sang-froid. Quelle déception, il aurait aimé estimé la puissance de sa voix.

— Tu as le droit d’hurler de terreur si tu veux. C’est tout à fait normal ici.

— Je ne vous ferai pas ce plaisir ! »

 

Soudain la liane finit par se rompre et le corps de la demi-elfe tomba dans cette lugubre noirceur. Mais alors qu’elle se croyait perdue, elle sentit de fines cordes la maintenir par ses membres tel un pantin. Une bourrasque lui fouetta à nouveau le visage. Que se passait-il ? Son corps remonta doucement vers le pont. La demi-elfe fut à nouveau en sécurité sur la plateforme pierreuse. Minos s’était servi de son Cosmic Marionation pour la rattraper dans sa chute. Le juge lui lança un sourire narquois, elle détourna le regard. Devait-elle le remercier ? Rien que l’idée de lui annoncer ces mots lui provoquer un certain dégoût. Lui sembla plutôt amusé par sa position maladroite.

 

« Va-t-il falloir que je te tienne la main tout le long du chemin ?

Enliana ne put s’empêcher de le gifler. Malheureusement pour elle, sa main atterrit sur le casque du juge. Du coup il n’avait pas sentit grand-chose.

— Comment pouvez-vous être aussi hautain et moqueur ? Vous êtes ignoble !

Il garda son air sournois.

— Bienvenue en enfer ma belle.

La demi-elfe baissa le regard.

— Pourquoi m’avez-vous remonté ? Je croyais que vous vouliez me voir disparaître.

— Tu n’as pas répondu à ma question. D’où venait cette liane ? Tu l’avais dans ton sac ?

— Non, c’est moi qui l’ai créée.

— Tu possèdes des pouvoirs ? Intéressant. Tu en as d’autres ?

— Vous les découvrirez si les occasions se présentent. On poursuit notre route ou… ? »

 

La demi-elfe préféra couper sa phrase. Elle allait encore le traiter de vieux. Bon déjà ce n’était plus vraiment drôle et cela n’aurait pas été correct d’insulter celui qui venait de la sauver ; même s’il l’avait fait pour des raisons obscures. Minos lui libéra les jambes mais il garda ses mains liées jusqu’au bout du pont. Il la libéra lorsqu’il sentit qu’elle ne craindrait plus de s’envoler. Ils arrivèrent à la prison suivante, celle qui ressemblait au temple d’Abou-Simbel. Enliana entendit des grognements et toujours ces cris. « Quel est donc cet endroit ? » questionna-t-elle d’une voix troublée. « Là où finissent les envieux. Dans cette prison ils sont battus par des pluies glaciales et sont dévorés par Cerbère, un chien à trois têtes. » Enliana continua à suivre Minos. Celui-ci poursuivait son chemin sans se retourner. Il savait qu’elle ne pouvait pas s’échapper. Où irait-elle ? On ne peut pas sortir des enfers comme cela. La demi-elfe remarqua un champ de fleurs juste derrière la prison. Cet endroit avait l’air si beau. Elle aurait tellement aimé y aller mais Monsieur le Vieux n’aurait certainement pas voulu.

 

Ils progressèrent vers un endroit aussi bizarre que les précédents. Mélangé aux cris de la deuxième prison, la jeune femme entendit un autre bruit, comme quelque chose qui roulait. Un éboulement ? C’est ça, cela y ressemblait fortement. Mais pourquoi le vieux s’avançait-il vers une zone de danger ? Il est stupide ou quoi ? Ce brouhaha n’en finissait pas. Puis ils aboutirent dans un grand canyon où des âmes faisaient rouler de gros rochers.

 

« On est où là ?

— Tu vas me poser la question à chaque prison qu’on croise ? fit Minos d’un air lassé.

— Je ne connais pas l’endroit. C’est normal que je pose des questions. (Il laissa le silence s’installer. Le juge n’avait pas très envie de répondre à toutes les interrogations de sa captive.) Alors ? On est où ? Ils ont fait quoi ces gens-là pour pousser des pierres ? C’est totalement stupide d’ailleurs, vraiment des efforts inutiles.

— S’ils basculent ces rochers sans fin, c’est parce qu’ils étaient avares ou vivaient à outrance dans le luxe.

— Les gens n’ont pas le droit d’être riche ?

— À partir du moment où tu souhaites que les autres restent dans la misère pour te sentir riche, non.

— Oh ? Vu comme ça, je comprends mieux. »

 

Enliana se rapprocha de l'homme. Les cris commençaient à s’amenuiser. Elle apprécia cette pause auditive, pourvu que cela dure. Leur route déboucha sur une grande mare noire et le juge décida de s’arrêter. Pourquoi patientait-il ? « On attend Phlegyas, il va bientôt arriver » se contenta-t-il de dire. En effet, difficile d’aller plus loin sans mettre le pied dans l’eau. La demi-elfe s’assit alors sur une roche et laissa tomber son regard sur le sol.

 

« C’est là où finissent les colériques comme toi, poursuivit-il alors qu’elle n’avait rien demandé.

Elle leva les yeux vers lui.

— Dans cette mare noire ? Je sais nager, je pourrais facilement revenir sur la rive.

Il s’approcha d’elle et lui murmura à l’oreille.

— Tu te souviens des âmes qui voulaient t’emmener dans les profondeurs tout à l’heure ? Il t’arrivera la même chose si tu finis dans ce marécage. Savoir nager ne te sauvera pas, les âmes te noieront. (Enliana eut un mouvement de recul. Finir noyer ? Elle espérait que non. Néanmoins le juge parvint à lui nouer l’estomac. Le visage près de ses lèvres, il sentit que sa respiration devenait plus difficile ; signe de stress. Et il en fut entièrement satisfait.) Tu sembles nerveuse. Veux-tu que le « vieux » t’embrasse le cou pour t’apaiser ?

Il voulut poser ses lèvres sur sa peau mais elle le repoussa et riposta d'une voix serrée.

— Ne me touchez pas !

Le juge ricana.

— Alors finalement on a peur ?

Elle lui tourna le dos, elle ne supportait plus ses sourires narquois.

— Je pourrais peut-être t’éviter la prison.

— En me retrouvant dans votre lit ? Et puis quoi encore ?

— Je me demande quel effet tu procureras à Rhadamanthe et à Eaque.

— C’est qui ceux-là ?

— Les deux autres juges. Je te préviens, ils sont loin d’être commodes, même envers une femme.

— Y a-t-il seulement des gens agréables ici ? Tout porte à croire que non.

— Tu n’es pas obligée de finir au lit avec moi. (Il se mit face à elle.) Quelle pensée obscène tu as. (Elle leva les yeux au ciel, comme si lui n’y faisait pas allusion, ce serait vraiment la prendre pour une idiote.) Tu pourrais être à mon service.

— Hum, « à votre service » ?

— C’est toujours mieux que de croupir en prison.

Enliana ne répondit pas mais cette solution ne l’enchantait pas plus que cela.

— Vous voulez traverser seigneur Minos ? C’est quoi cette créature à oreilles pointues ?

Il se tourna vers le nocher.

— Une femme demi-elfe. Je veux la présenter à Pandore. Elle décidera de son sort.

— Ah ? Eh bien embarquez donc. »

 

Le juge invita Enliana à monter sur le radeau. La demi-elfe s'exécuta sous la surveillance de celui-ci. Phlegyas s'éloigna de la rive et vogua à travers le marécage. Enliana était assise sur le côté droit de l’embarcation. Elle avait les bras enroulés autour de ses jambes repliées vers elle et fixait ses ballerines vertes. C’était la première fois que la jeune femme restait aussi calme depuis son arrivée. Elle ferma les yeux. Avec le silence qui régnait, elle pouvait se permettre un petit moment de méditation. Elle resta longtemps ainsi. Phlegyas se demandait ce qu’elle faisait ; selon lui c’était mieux d’admirer ce paysage hors du commun. La concentration d’Enliana étant axée sur son ouïe, elle entendit des murmures inaudibles au loin. Faire le vide, s'efforcer d'exclure de sa bulle tous ces chuchotements parasites. La barque finit par s’arrêter et les murmures s’étaient changés en cris. Il y avait des tombes dispersées en peu partout et des gens hurlaient. Des gens ? Non des squelettes !

Date de dernière mise à jour : 2020-08-18

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