Erika courait depuis quelques minutes dans le nouveau monde. Elle ne sentit pas tout de suite la douleur qui commençait à s’installer en elle. Néanmoins au bout d’un moment elle fut trop violente pour qu’elle poursuive sa course. Elle plaqua instinctivement ses mains contre son casque et s’effondra sur le sol en hurlant de douleurs. Pour la malheureuse, cet instant sembla durer une éternité ; pourtant il n’avait duré que quelques secondes. La douleur s’estompant, Erika se redressa, lentement ; les jambes chancelantes à cause de légers vertiges.
« Mais que m’est-il arrivé ?
— C’est moi, répondit une voix féminine.
La jeune brune regarda autour d’elle mais il n’y avait personne. Peu à peu son corps reprit des forces, elle parvenait maintenant à bien se tenir.
— Qui ça « moi » ? Où êtes-vous ?
Une silhouette apparut juste devant elle, celle d’une dame blonde au visage fin et portant une simple robe grise. Toutefois elle était intangible, on ne voyait pas ses pieds et avait une allure de fantôme.
— Je suis Inarian, l’esprit essentiel. Désolée de t’avoir infligé une telle souffrance mais tu m’y as contrainte en pénétrant ici.
— Que m’avez-vous fait ?!
— Tu t’es introduite dans un monde qui t’est totalement inconnu. Je t’ai offert la connaissance linguistique. Tu en auras besoin pour communiquer avec les gens de ces terres. Cependant elle sera limitée. Il y a donc des chances que tu ne comprennes pas la totalité de ce qu’ils te diront.
— Merci Inarian.
— Ce n’est pas tout. Tu ne pourras pas arrêter Ugul comme ça. Tu devras enfermer son esprit dans ce cristal.
— Un cristal ? questionna Erika en haussant un sourcil.
Inarian fit tourbillonner ses mains devant elle pour faire apparaître un petit halo de lumière. Puis au fur et à mesure de ses mouvements, un cristal de taille moyenne se matérialisa. Le chevalier fut impressionné par ce tour.
— Le voici. Ce n’est pas n’importe quel cristal. J’y ai mis une infime partie de mon esprit dedans. Lorsque tu le présenteras à Ugul, je l’aspirerai à l’intérieur. Le cristal deviendra alors brun. Mais attention, tu devras être suffisamment proche de lui. S’il est trop loin, cela ne fonctionnera pas. M’as-tu bien comprise ?
— Oui.
Erika tendit la main. La pierre précieuse lévita jusqu’au-dessus de celle-ci et se laissa tomber.
— Ne reviens pas avant d’avoir retrouvé Ugul. Je sens encore sa présence. Il cherche quelque chose, fit l’esprit d’un air préoccupé. Ne perds plus de temps ! Il ne faut surtout pas qu’il trouve de corps.
— Quoi ?!
— Ugul en cherche un assez puissant avec un esprit suffisamment mauvais pour l’accueillir. Tant qu’il ne l’aura pas trouvé, il ne sera pas une réelle menace. Les gens ne verront qu’une ombre effrayante comme si un cauchemar les traumatisait subitement. Mais s’il le trouve, ce sera un véritable désastre car à ce moment-là, personne ne pourra l’arrêter, pas même l’ensemble de nos gardiens. Ce sera la fin de tout. Maintenant va ! »
Puis l’esprit disparut instantanément. Avec cette conversation inattendue, Erika n’eut même pas le temps de culpabiliser pour son échec. Mais Inarian avait raison, il n’y avait plus de temps à perdre. Alors elle reprit sa route sans s’autoriser la moindre pause. Par moment elle lévitait pour économiser ses forces ou traverser un ravin. Toutefois elle se posait des questions. Où était Ugul ? Comment connaître sa position exacte ? C’était mission impossible dans ce vaste monde. Peut-être qu’elle tombera sur quelqu’un qui pourra la renseigner ? Mais comment pourrait-il être au courant d’une telle chose ? Pour les gens de cette terre, c’est de l’imprévu total. S’il savait le danger qui les menaçait en ce moment, ce serait la panique même si Ugul est pour le moment inoffensif. Le plus à craindre, c’est le moment où il trouvera ce fameux corps. Mais où pourrait-il bien le trouver ?
Cela faisait presque deux jours et une nuit qu’Erika se pressait dans la vallée désertique. Elle se dirigeait vers un endroit qui lui paraissait plus sombre qu’ailleurs. Peut-être qu’elle finira par trouver Ugul ? Mais si elle rencontrait ne serait-ce qu’une personne pour la tenir informer d’une quelconque menace, cela l’aiderait peut-être à mieux s’orienter. Elle commença à gravir la montagne enneigée. Puis quelques temps plus tard, le chevalier tomba sur une grotte brumeuse. Son aspect lugubre lui semblait être une bonne cachette pour un esprit démoniaque. Sans hésiter plus longtemps, la brune se faufila à l’intérieur. La modeste clarté voire même l’obscurité la freina dans son avancée. Mais à force de vagabonder partout elle finit par trébucher. Elle chuta sur quelque chose de dur et lisse à la fois. La faible lumière l’empêchait de voir ce que c’était. Alors elle se releva sans se poser la moindre question et marcha vers un endroit bien plus clair. C’était une sortie. Peut-être avait-elle traversé la montagne ? Puis elle entendit des gouttes d’eau qui tombaient à un rythme régulier. Enfin un peu d’eau, elle qui commençait vraiment à avoir soif, quelle aubaine. Elle enleva son casque, s’abaissa devant la grosse flaque et mit ses mains en coupe.
Erika se rendit compte à ce moment-là qu’elle se fatiguait petit à petit. Elle se demandait si elle pouvait s’autoriser un moment pour récupérer. Son énergie était réduite de moitié. Heureusement qu’elle avait une assez bonne expérience sur le terrain sinon sa résistance serait amoindrie depuis longtemps. Lors de la Grande Bataille, les soldats n’avaient pas droit au repos. Les événements s’étaient enchaînés assez rapidement. La jeune femme se massa un peu le cou et sentit une différence de couches épidermiques plus que familière à ce niveau. Un petit souvenir de cette époque désormais lointaine. Soudain une voix la sortit de ses songes.
« Hey ! Où comptes-tu aller comme ça ?!
Erika remit son heaume, se releva promptement et balaya la grotte du regard. Mais il n’y avait personne de visible.
— Qui va là ?! Montrez-vous !
Une autre voix se fit entendre.
— Tu ne pensais tout de même pas qu’on allait te laisser passer sans rien dire quand même ?
Elle se retourna, des rires se déclarèrent pour des raisons qui échappaient au chevalier. Cependant Erika pressentait un nouveau combat et pas des moindres pour elle. Ses jambes étaient déjà en feu. Si elle avait su, elle se serait sûrement reposée bien avant. Il était trop tard maintenant. Soudain des squelettes de soldats apparurent progressivement dans la grotte.
— Tu n’aurais pas dû venir ici, chevalier. Tu m’as l’air bien jeune pour mourir. Mais tu ne peux plus reculer ! Dommage pour toi.
— Vous pouvez déterminer mon âge ? Par quel moyen ?
— Ta voix est plutôt aigüe comparé aux hommes que nous avons rencontrés. Tu es encore un jeune poussin.
— Alors c’est ma voix qui vous trompera ! Je n’ai pas l’intention de me laisser faire !
— L’autre chevalier aussi avait dit ça mais on s’en est chargé ! ajouta l’un d’eux.
— Euh… En fait, c’est lui qui nous a évincé, contredit l’autre.
— Vraiment ? T’es…T’es sûr ? Je ne m’en souviens pas. Tu parles duquel ?
— Il avait sorti son Shozan machin chose. Tu ne te rappelles pas ?! Décidément ta mémoire ne s’améliore pas !
— Pourquoi voudrais-tu qu’elle s’améliore ? Je suis mort !
— Hey, dites ! Ce n’est peut-être pas très malin de parler de ça devant le p’tit, spécifia une grosse voix. De quoi on va avoir l’air maintenant ?
— Alors c’est possible de vous battre ? interrogea Erika avec une lueur d’espoir.
— Ce n’est pas parce que ce chevalier nous a battus que ce sera la même chose pour toi !
— Mais au fait, pourquoi tuez-vous les gens de passage ? Vous leur en voulez d’être vivants ?
— Non, nous protégeons le passage menant au temple de Mû. Il désire être tranquille alors tu ne le dérangeras pas !
— Il ne voit jamais personne ? Le pauvre doit se sentir tellement seul, compatit-elle. Pouvez-vous me dire qui est Mû ?
— C’est un chevalier d’or qui répare les armures endommagées. Il a un talent des plus remarquables. C’est pour ça que les chevaliers viennent le voir. D’ailleurs certains d’entre nous étaient venus pour cette raison.
— D’où ce cimetière d’armures. Je comprends mieux maintenant. Vous êtes à son service alors ?
— À son service, à son service… C’est vite dit, jeune homme. Disons que son désir nous arrange. Ça nous amuse d’accueillir de nouveaux résidents. Nous empêchons les gens de passer et lui peut rester tranquille. Dans l’affaire tout le monde est gagnant. Tu verras, on peut faire peur comme ça mais on adore se jouer des vivants. Leur réaction est un régal pour nous.
— Et que vous procure la mienne ? fit-elle d’une voix moqueuse.
— J’avoue que tu nous intrigues, poursuit un autre. Comme l’autre chevalier, tu n’as pas peur. À moins que ça ne soit qu’une feinte pour nous duper ! As-tu peur de nous ?!
— Pourquoi aurais-je peur d’un tas de vieilles armures ?
— Oh non, on n’est moins crédible, ronchonna l’autre à la grosse voix. Je vous l’avais dit de ne pas nous ridiculiser devant cet avorton !
— Assez discuté ! On va te donner ce que tu mérites, gamin !
Erika sortit son épée et se tint prête à l’attaque. Les soldats s’avancèrent un à un. Elle les écarta de son chemin en quelques coups, une frappe de taille suffisait pour faire tomber ces tas de ferrailles brisées.
— C’est tout ce que vous savez faire ? Quelle plaisanterie ! Pas étonnant que l’autre chevalier ait su passer. On vous évince en un coup de vent !
— Ah oui ? C’est trop facile en un contre un ? Et si on multipliait le nombre pour voir ? On ne fera pas deux fois la même erreur ! Voilà ce qui arrive à ceux qui jouent au plus malin avec nous ! »
Les soldats accélèrent le pas et s’agglutinèrent autour d’Erika. Les lames s’entrechoquèrent, le chevalier Hope tournoyait pour parer les coups. Voyant qu’ils étaient supérieurs en nombre, et donc qu’ils avaient l’avantage, on entendit l’écho qui répondait aux rires des soldats. Ils l’auront par épuisement car elle se fatiguait de plus en plus. Alors elle lévita afin de se défaire de ce cercle infernal. « Hey ! C’est pas du jeu ça ! Très bien ! Puisque c’est comme ça, nous aussi on va léviter ! » Les soldats mimèrent le chevalier. Erika bondissait d’un coin à un autre pour défaire les ennemis. Cela ne servait à rien. Elle s’épuisait alors que les soldats semblaient revenir en surnombre. Pourtant des squelettes mis à mal jonchaient le sol. La sortie était juste là, peut-être que la lumière du soleil les empêchera de sortir de cette grotte. Elle s’en approcha péniblement mais ayant compris son plan, ils firent barrière. « Écartez-vous de mon chemin ! J’ai une mission à accomplir, je n’ai pas le temps de dormir avec vous ! » Elle n’eut aucune réponse et la barrière de soldats grandissait. Alors elle se concentra les yeux fermés. Un soldat pensait lui porter le coup de grâce mais il fut immédiatement repoussé par son bouclier magnétique. Ce dernier gagna en intensité, sa lumière fut plus forte et quand ce fut le bon moment elle le fit exploser autour d’elle. Un grand « BOUM » retentit et ce fut fini. Erika sortit de cette maudite caverne puis elle passa un pont de roche. Si on regardait en bas, on voyait des soldats empalés sur des pics rocailleux. Quelle triste scène. Dans la grotte, un des soldats à la voix aigüe se redressa doucement pour lancer une dernière parole : « Les gars, il va vraiment falloir qu’on se renouvelle parce que, faut se l’avouer et ça me fait mal de vous dire ça mais… on est vraiment nul. » Puis il s’effondra préférant s’endormir jusqu’à la prochaine attaque. Un peu plus loin, remarquant qu’elle n’était pas suivie par les soldats fantômes, elle prit un moment pour se reposer près d’un gros rocher. De plus, le soleil était en train de se coucher. Inutile de poursuivre davantage pour l’instant, pas dans un état pareil. Son bouclier lui avait sauvé la vie, mais si elle ne l’avait pas eu elle serait déjà morte. La prochaine fois, le chevalier devra faire preuve de plus de prudence.
Coucou!