Les deux chevaliers arrivèrent devant la maison de Desideria. La jeune femme ouvrit la porte et les invita à entrer. Elle sortit deux sacs cabas en tissu qu’elle avait fabriqué, l’un pour les serviettes de toilette et l’autre pour ses robes. Puis elle partit chercher un panier et elle y rangea ses sous-vêtements. Elle prit soin de mettre ses nuisettes par-dessus afin de les cacher. Les hommes n’avaient pas besoin de connaître sa lingerie fine. Chacun un sac en main, elle avec son panier, ils regagnèrent le temple du Verseau. La jeune femme n’avait pris que l’essentiel, le reste elle viendrait le chercher au fur et à mesure pour ne pas déranger son monde. C’était très gentil de la part des chevaliers de l’avoir aidé, néanmoins elle ne voulait pas en abuser. Camus la laissa entrer en lui murmurant « Je n’ai pas besoin de te montrer où est la chambre, n’est-ce pas ? » La demoiselle se mit à rougir d’un coup et cela le fit sourire discrètement. Non, effectivement il n’avait pas besoin de lui dire, elle connaissait déjà le chemin. Tout en les remerciant, Desideria demanda à Misty et Astérion de déposer ses affaires à l’entrée. Ils pouvaient donc vaquer à leurs occupations. Ceux-ci lui adressèrent un regard amusé puis prirent congé. La demoiselle était assez mal à l’aise, elle demanda à Camus si elle pouvait monter à l’étage.
« Bien sûr que tu peux. L’autre fois tu t’es passée de mon autorisation.
— Le contexte était différent.
— On va dire ça. Je te laisse t’installer, je retourne voir les élèves. Je t’ai libéré de la place dans l’armoire.
— Merci c’est gentil.
— De rien. Bon j’y vais.
— À tout à l’heure.
— Oui oui, à plus tard. »
Camus sortit du temple et descendit les escaliers sous le regard de la jeune femme. Elle le fixa pendant un bon moment puis elle se tira de ses songes pour aller ranger ses affaires. D’abord les sous-vêtements dans le tiroir pour qu’ils soient à l’abri des regards indiscrets, même si celui de Camus ne la dérangerait pas. Elle en ouvrit un au hasard. C’était ses caleçons, elle referma vite en piquant un fard. Cela aurait été plus simple s’il était présent. Il est parti sans rien lui dire aussi ! Le deuxième était vide, elle le remplit avec sa lingerie. Ensuite les robes et nuisettes dans la penderie. Desideria prit les serviettes et descendit les escaliers pour chercher la salle de bain. Pourquoi Camus était-il parti si vite ? Elle n’aimait pas s’aventurer chez les autres comme cela. Elle ouvrit une porte sur le côté droit au rez-de-chaussée, non c’était une bibliothèque. Elle referma tout de suite. « De l’autre côté alors » se dit-elle. Son temple était bien grand, on n’aurait su le dire depuis l’extérieur. Elle traversa le hall, ouvrit la seconde porte et entra dans la salle de bain. Elle mit ses serviettes dans le meuble et ses affaires dans un petit coin. Elle referma la porte, se tourna et se plaqua brusquement contre elle, toute blême. Elle était là. Elle courut vers la porte mais ce qui semblait être un courant d’air la bloqua précipitamment. Un courant d’air ou lui ? Cet esprit était-il capable d’une telle chose ? Elle joua avec la poignée mais ne parvint pas à rouvrir. La jeune femme se sentait perdue. Et Camus qui était loin d’elle. Qu’allait-lui arriver ? Qu’avait-il prévu ? Desideria se recroquevilla, posa la tête sur les genoux et ferma les yeux. Elle tremblait tant elle était effrayée. La demoiselle mit un bon moment avant de se rendre compte qu’une chaleur l’envahissait progressivement. Était-il en train de la posséder ?! Elle leva brusquement la tête, son cœur battait à vive allure, elle ne devait pas se laisser faire. L’esprit était près d’elle, au niveau de son épaule droite. Il ne bougeait pas, pourtant cette chaleur était toujours là, de plus en plus apaisante. C’était comme si un ami avait posé sa main pour la réconforter. « Je ne te ferai pas de mal, n’aie pas peur » dit l’esprit mais elle ne pouvait l’entendre. Son rythme cardiaque ralentissait peu à peu. Ce n’était pas la première fois qu’elle ressentait cette chaleur. Cela lui arrivait aussi dans la nuit lorsqu’elle commençait à s’endormir. Est-ce qu’il avait tenté de rentrer en contact à ce moment-là ? La sachant dans un moment calme ? Si c’était le cas, il avait surement dû essuyer plusieurs échecs car cette chaleur facilitait son endormissement.
« Si tu avais voulu me faire du mal, il y a longtemps que ce serait fait, c’est ça ?
— Oui tu n’as pas à avoir peur de moi, fit l’esprit en s’éloignant d’elle et en basculant de haut en bas, signe d’affirmation.
— Espérons que je puisse me fier à ce que je vois. Mais que me veux-tu ?
L’orbe bougea de droite à gauche, de gauche à droite.
— J’ai besoin de ton aide. Tu es la seule qui arrive à me voir. Les autres sont sourds à mes appels. Viens avec moi, je voudrais te montrer quelque chose.
— Je ne comprends rien à tes signes. Ce serait plus simple si on pouvait communiquer normalement. »
La jeune femme semblait navrée. L’esprit ouvrit la porte et fit des va-et-vient pour l’inciter à le suivre. Elle se releva et marcha derrière lui. Elle descendit les nombreux escaliers en pierre sans se douter qu’elle était surveillée. « Où est-ce que tu m’emmènes ? » demanda-t-elle sans vraiment attendre de répondre. « Mais à qui parle-t-elle ? » s'interrogea le pisteur. L’esprit l’éloigna du sanctuaire et cela inquiétait la demoiselle. Peut-être voulait-il l’aider à s’enfuir ? Seulement elle ne voulait pas trahir sa parole. Sinon comment pourrait-on lui faire confiance ? Finalement elle n’était pas très loin des temples, l’esprit l’emmena vers un grand pic rocheux. Il fit des va-et-vient en lui indiquant le sommet.
« Là-haut ?!
—Je sais que ça a l’air compliqué, mais je t’aiderai à monter. Il faut absolument que quelqu’un voit ça.
— Mais je n’y arriverai jamais, c’est trop bien haut pour moi. Tu me vois vraiment escalader ça ?
— Je sais mais il faut absolument que quelqu’un monte jusqu’au temple. C’est important.
Desideria regarda aux alentours. Au sommet de la falaise, elle semblait distinguer l'immense statue d’Athéna. Elle se souvenait que le Grand Pope lui en avait parlé, à quelle occasion déjà ? Elle tenta de se remémorer de ses propos. « Un mont derrière la grande statue d’Athéna… un lieu réservé au Grand Pope... Star Hill. »
— Oh mais alors c’est ça le Star Hill ?! Mais non je n’ai pas le droit d’y aller. Je suis navrée mais ce que tu me demandes est impossible. J’ai promis au Grand Pope de ne pas y aller. Je ne veux pas le trahir, je ne peux pas. Il sera furieux s’il apprend que je suis montée là-haut.
— Tu es le genre de personne qui tient ses promesses. Je le comprends, c’est tout à ton honneur Desideria. (Soudain on entendit le cri d’un oiseau, un aigle pour être plus précis. Cela donna une idée à l’esprit.) J’espère qu’elle comprendra.
Il pointa l’aigle à plusieurs reprises.
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Quoi l’aigle ? Ne t’inquiète pas, il ne risque pas de m’embarquer. Et je ne pense pas qu’il te voit. Retournons au sanctuaire, je ne suis pas du tout à l’aise ici.
La jeune femme rebroussa chemin cependant à peine avait-elle fait quelques pas qu’elle fut stoppée par un homme en armure. Celle-ci présentait une asymétrie au niveau des épaulettes. Il y avait des pics sur son côté gauche qui étaient absents de l'autre côté. Cela paraissait un peu étrange.
— Depuis quand parles-tu toute seule ? questionna Argol.
— Euh… depuis toujours. Ça ne vous arrive jamais de réfléchir à voix haute ?
— Non jamais. Ce lieu est interdit aux gens comme toi.
— Comme vous aussi il me semble.
Argol ne s'attendait pas à ce qu'elle ait la moindre répartie.
— Insolente !
Il la prit et la porta sur son épaule droite tel un sac de patates. Heureusement, il ne s’était pas trompé d’épaule sinon elle aurait été transpercée.
— Reposez-moi à terre ! Ce n’est pas convenable !
— C’est ton attitude qui n’est pas convenable, fit-il en marchant vers le sanctuaire. Je me demande ce qu’en pensera le Grand Pope.
— Vous devrez passer devant tous les temples ! Si jamais Camus ou Milo vous voient, ils poseront sûrement des questions !
— Il n’y a pas que le passage principal ma chère Desideria. Je connais un autre chemin que le Grand Pope m’a indiqué en cas de besoin.
« Oh non ! » pensa-t-elle, ceci inquiéta la jeune femme. Finalement personne ne les verra et donc aucune chance d'y échapper.
— Vous pourriez au moins me poser à terre. Je sais marcher quand même !
— Non ça va, tu n’es pas très lourde, un vrai poids plume. Et puis je ne voudrais pas t’offrir l’occasion de t’enfuir.
Argol n’allait sûrement pas atténuer la situation. Il était donc là sur les ordres du du chef. La jeune femme appréhendait la suite. Comment réagira-t-il ? Il va l’enfermer au cachot jusqu’à la fin de ses jours, c’est certain. Et Camus ? Elle ne le reverra plus.
— Qu’est-ce qui va se passer ? Qu’est-ce que tu crois que le Grand Pope va faire ? M’enfermer ?
— Il aurait fallu s’en inquiéter avant. J’ignore ce qu’il décidera, je ne suis pas dans sa tête. Tu peux peut-être l’amadouer en lui faisant du charme.
Desideria lui donna un coup de genou dans le ventre, seulement vu sa faible corpulence il n’avait pas eu grand effet sur lui.
— Même pas mal, se moqua-t-il.
— Je ne suis pas ce genre de femme !
— Non mais lui pourrait te le proposer. Si jamais ça arrive, je te conseille d’accepter sinon tu y auras droit à ta cellule.
— Ça n’arrivera pas. Je suppose que le Grand Pope a plus d’honneur que ça.
— Il aime beaucoup les femmes, il parait qu’il a une collection de concubines.
— « Il paraît » ! Ça ne signifie pas que c’est vrai !
— Tu me fais rire. Tu ne veux pas te retrouver dans son lit ?
— Non !
— Lui serait peut-être ravi. Tu as failli y atterrir pourtant.
— Quoi ?! Ça suffit ! Taisez-vous ! Je ne veux pas en savoir davantage ! »
Argol devenait profondément gênant et cela l’amusait. Elle ne voulait pas être dans le lit du Grand Pope. Et puis quoi encore ?! Elle ne sait même pas à quoi il ressemble, il porte toujours ce masque. Avait-il peur qu’on le reconnaisse ? Si c’était le cas, pourquoi ?