Camus marchait assurément vers le palais du Grand Pope. Pourquoi le dérangeait-il ? Quelle mission allait-il lui confier ? Il ne tardera pas à le savoir. Le chef était assis sur son trône. Le chevalier osa le genou à terre et attendit quelques instants. Il y eut un silence, cependant Camus n'aimait pas perdre du temps inutilement.
« Vous m’avez fait demander Grand Pope ?
— Oui, à cause de Desideria.
— Qu’a-t-elle fait ?
— Pour le moment rien. Et j’aimerais que cela reste ainsi. Veille à ce qu’elle ne quitte pas le sanctuaire. Astérion m’a informé qu’elle voudrait s’échapper.
— Vous me demandez de faire le chaperon ? s’indigna Camus en arquant un sourcil. Pourquoi ne pas désigner un chevalier d’argent. Misty serait parfait pour cette mission. Il n’arrête pas de la coller.
— Misty la fait fuir plutôt qu’autre chose. J’ai besoin d’un homme plus discret que lui et doté d’un charme hors du commun.
— Alors je dois la manipuler ?
— Je n’appellerais pas ça ainsi. Donne-lui simplement envie de rester parmi nous.
— N’importe qui pourrait le faire alors pourquoi me demander ça ?!
— Parce que je te l’ordonne ! Tu auras bien plus d’impact sur elle que n’importe qui d’autre. Si jamais elle tente de s’enfuir, je serais contraint de la faire exécuter. Certains chevaliers n’auront aucune pitié pour elle à ce moment-là. Dis-toi que tu veux juste la protéger d’une mort inutile.
— Très bien, j’obéirai à vos ordres. Néanmoins sachez que je n’apprécie pas du tout cette méthode insidieuse.
— Tu n’es pas obligé de lui mentir. Elle ne te plaît pas la demoiselle, Camus ?
— Je ne saurais vous le dire, je ne la connais pas.
— Je dois te prévenir d'autre chose. Le prisonnier m’a dit qu’elle voyait les morts. Essaie de voir si c’est vrai.
— Vous pensez qu’elle pourrait être une nécromancienne ?
— Je l’ignore. Elle semble si fragile, si faible. Mais serait-ce un subterfuge pour nous duper ?
— Si je peux me permettre, je pense qu’elle n’est rien de tout ça. Puis-je disposer maintenant ?
— Oui. Garde un œil sur elle. »
Le chevalier tira sa révérence dans le plus grand calme. Mais celui-ci étouffait sa colère. Non seulement il n’appréciait pas le rôle qu’il lui incombait désormais, mais en plus il allait perdre son temps inutilement. Cette jeune femme ne paraissait pas mauvaise. Quel risque représentait-elle pour le sanctuaire ? Et Camus n’était pas du genre à balancer aussi facilement. Lorsqu’il le vit arriver, Milo l'interrogea sur sa visite au palais.
« Ce n’est pas vraiment étonnant qu’il t’ai demandé ça. Tu as bien vu comment Desideria t’a regardé l’autre jour. Apparemment je ne suis pas le seul à l’avoir vu.
— Mais que veut-il que j’y fasse ? Je ne vais tout de même pas la séduire pour qu’elle reste.
— Ça ne serait pas rendre service à la demoiselle. Mais tu es sûr que tu ne ressens rien pour elle ?
— Oh ! tu ne vas pas t’y mettre. Ce n’est pas parce qu’elle a eu un coup de cœur que je dois l’avoir aussi.
— Tu n’as pas vraiment pris le temps de la connaître. Tout à l’heure c’est à peine si tu lui as dit bonjour, à la nécromancienne.
— Je n’y crois pas.
— Moi non plus. Desideria, réveiller des morts ? Il faut de grands pouvoirs pour ça. Et jusqu'à présent, je ne l’ai pas vu utiliser ses « dons ».
— Même si elle en avait, elle ne les manifesterait pas devant nous. Son aspect fragile ne serait qu’une feinte dans ce cas ?
— Alors elle est bonne actrice. J’y crois pas une seconde.
— J’en doute aussi. Mais je vais devoir la surveiller quand même. Et pendant combien de temps ? Il croit que j’ai que ça à faire ou quoi ?!
— Il ne faut pas qu’elle s’en aperçoive. Tu es un des plus discrets, je comprends son choix. Tu imagines Misty la surveiller discrètement ?
— D’ailleurs où est-elle ?
— Je lui ai fait rapidement la visite du sanctuaire. Je l’ai senti tendue quand on est passé près du temple du Bélier. De quoi a-t-elle eu peur ? Mû est à Jamir. Là, elle est au conservatoire, elle se renseigne sur les dates des prochains concerts.
— Elle aime la musique ?
— D’après Misty c’est une chanteuse amatrice. Peut-être qu’elle va prendre des cours. Si c’est le cas, cela signifierait qu’elle n’a pas l’intention de partir.
— Je n’aurais donc plus besoin de la surveiller. Pourvu qu’elle s’inscrive.
— Je crois que tu devrais la protéger de Misty. Regarde, la voilà qui arrive avec lui.
La jeune femme s’avança vers Milo. Un joli sourire s’afficha à l’intention du Verseau.
— Il n’y a pas de concerts pour le moment. Il faut attendre la période de Noël. Bonjour Camus.
— Bonjour Desideria.
— Tu peux toujours t’inscrire au conservatoire, suggéra Milo.
— C’est ce que je lui ai dit mais elle refuse, fit Misty. Je suis persuadé qu’elle a un joli chant.
— Tu n’en sais rien, tu ne m’as jamais entendu.
— Eh bien, vas-y, défia le Lézard.
La demoiselle n’était pas très à l’aise.
— Je ne peux pas, ma voix n’est pas échauffée.
— Le petit prétexte, taquina le blondinet. Tu peux l’échauffer là maintenant.
— Je ne voudrais pas vous casser les oreilles, répondit la demoiselle avec un sourire jaune.
— Tu exagères. »
Pour l’instant Desideria n’était pas très à l’aise au sanctuaire. Elle n’avait que peu de repères et ne se sentait pas véritablement intégrée. C’est une chose qui prend du temps, s’intégrer. Elle avait commencé son travail à la bibliothèque. Le gérant était plutôt content de ses services. Cela lui faisait du bien de déléguer quelques tâches et il appréciait sa présence. Cependant depuis la visite du sanctuaire, et tout particulièrement lorsqu’elle est passée devant le cimetière, la demoiselle était encore moins tranquille. Pourquoi ? Elle avait vu une boule fantomatique et cela l’avait effrayé. Pour le moment elle ne l’avait plus revu. Se doutait-elle qu’elle l'effarouchait ? Toutefois elle se posait des questions à son sujet. Qui était cette âme errante ? Pourquoi vagabondait-elle aux abords du cimetière ? Il n’y avait que celle-ci dans ce lieu. Si elle la rencontrait à nouveau, lui sera-t-elle hostile ? Camus avait remarqué son désarroi. Cette fille cachait bien quelque chose ; mais ce n’était peut-être pas forcément aussi grave que ce que le Grand Pope pensait. En effet le chevalier du Verseau surveillait Desideria mais c’était pour la sécurité de la jeune femme. Après tout, n’est-ce pas ce que le chef avait prétexté ?
Le lendemain Desideria retourna à la bibliothèque. Mais elle avait l’impression d’être suivie alors elle se dépêcha d’y arriver. En fait depuis qu’elle a vu Camus la veille, la demoiselle ne semblait plus tranquille. Son regard était aussi froid que lors de leur première rencontre. Toutefois elle eut du mal à en détourner le regard. « C’est ridicule ! » se disait-elle. Elle ne pouvait pas avoir un coup de cœur comme cela basé uniquement sur le physique. Elle aurait aimé l’approcher seul. Peut-être qu’une conversation avec lui suffirait pour apaiser ses craintes. Il était possible qu'il finisse par bien discuter avec elle et cette attirance deviendrait plus intéressante ? Si cela n’était pas le cas, alors elle devra se détacher de lui. Desideria entra dans la bibliothèque. Elle longea les allées pour se diriger vers le vestiaire afin d'y déposer son sac. Elle ouvrit son casier et posa ses affaires. Mais elle eut une autre impression bizarre. Elle n’était pas seule. Elle ferma vivement son casier et balaya la pièce du regard. Il n’y avait personne. La jeune femme sortit du vestiaire et inspecta les lieux. Cette boule fantôme l’aurait-elle suivi jusqu’ici ? Desideria espérait que non. Le gérant ne devait pas tarder à arriver, d'ici peu elle ne sera plus seule, en compagnie d'une présence bien vivante. Toutefois cette sensation la préoccupait. Elle regarda dans les allées et les couloirs mais personne. Puis quelque chose semblait s’approcher d’elle alors elle se retourna vivement.
« Ah ! cria-t-elle.
— Wouah ! hurla le vieil homme en faisant un bond en arrière.
— Lysias vous m’avez fait peur.
— Nous sommes deux. Qu’est-ce qui vous prend de crier comme ça ? J’ai failli avoir une attaque. Vous avez l’air nerveuse. Que se passe-t-il ?
— Ce n’est rien. J’ai eu une impression bizarre, comme si quelqu’un était avec moi.
— Je suis avec vous, là.
— Lysias, ça vous est déjà arrivé de vous sentir espionné ?
— Comment ça « espionné » ?
— Eh bien, depuis hier j’ai l’impression de n’être pas seule. C’est comme s’il y avait une présence près de moi alors que je suis seule dans la pièce.
— Oh, je vois. Oui je ressens une présence aussi. Mais moi je suppose qu’il s’agit de Nypha, ma défunte femme. Autrefois c’était elle qui m’assistait.
— Je suis navrée pour vous.
— Ça fait plusieurs années maintenant, j’ai fait mon deuil. Bon, ce n’est pas tout mais il faut se mettre au boulot, ajouta-t-il d’un air plus jovial. Les adhérents ne vont pas tarder à arriver. »
Desideria se sentit gênée d’avoir soulevé ce douloureux souvenir ; même s’il avait fait son deuil. Alors c’était Nypha qui avait son poste avant ? Cela pourrait expliquer pourquoi le gérant n’avait pas pris d’employé pour l’assister. Le pauvre homme devait se sentir horriblement seul. Mais Lysias lui affirma que finalement c’était une bonne chose. Si jamais il lui arrivait malheur, elle serait là pour appeler les secours. Pour lui, certes la présence qu’il sent devait être sa femme, mais cela ne devait sûrement pas être le cas pour Desideria. Elle en était presque certaine, cette boule fantôme n’était pas loin ; elle était simplement bien cachée.