Cette fois je vous propose une partie où j’ai été plus active. J’ai contacté deux avocats du Conseil National des Barreaux. Je ne pouvais me contenter d’un extrait de presse datant de 2008, il me fallait quelque chose de plus concret. Je leur ai donc envoyé le message suivant en question simple.
« Bonjour, je suis Coralie Fouriau, auteure.
Dans un article, je voudrais définir la responsabilité pénale des auteurs lors de l'écriture d’œuvres. Suivant leur genre, ceux-ci feront des recherches pour rendre leurs histoires crédibles. Dans un roman policier, des sujets sensibles peuvent être abordés. Et selon la notoriété, le public pourrait être inconsciemment influencé.
1 - Un auteur risque-t-il des sanctions pénales s'il écrit ce type de scènes ? Ex : technique de fraude, mode opératoire d'un criminel reproduit par un fan, etc. Si oui, quelle sera la peine encourue ? Si non, jusqu'où s'étend sa responsabilité ?
Il se peut qu'un auteur écrive volontairement des erreurs par bonne conscience.
2 - Même s’il décrit une fausse technique de fraude (ex : citron pouvant effacer l'encre sur un chèque mais détériore le papier, le rendant irrecevable), prend-il un risque pénal ?
Puis-je vous citer dans mon article ou préférez-vous garder l’anonymat ?
Merci, bonne journée.
Coralie Fouriau »
Évidemment, je n’ai pas demandé à n’importe quels avocats. Sur le site du CNB Les avocats, il est possible de cibler vos destinataires. Je vous présente ceux que j’ai choisis.
- Maître Lauriane Garcia est avocate en Droit des nouvelles technologies, de l'informatique et de la communication et Droit de la propriété intellectuelle exerçant à Nice depuis 2019. Elle a également des compétences en Droit pénal des affaires et en droit de la presse.
- Maître Emmanuel Leclercq est avocat au barreau de Paris depuis 2013. Il fut au barreau de Bruxelles entre 1980 et 2005. Il a également travaillé dans le monde de la culture. Ses domaines de compétences sont la Propriété littéraire et artistique, Droit associations et des fondations et le Droit public.
Nous avons donc deux profils différents mais avec un point commun : la propriété intellectuelle. J’avais besoin d’un avocat qui s’y connaisse bien dans le domaine littéraire et d’un autre pour le droit pénal. Avec leur appui, nous allons donc voir où nous en sommes aujourd’hui.
A - Définition
D’abord, qu’est-ce que le droit pénal ? Selon le CNRTL (Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales), le droit pénal est la branche du droit constituée par l'ensemble des règles de conduite imposées aux citoyens sous menace de peine.
B - Oui mais les auteur(e)s sont-ils concernés lorsqu’ils écrivent une fiction ?
Maître Leclercq nous dit la chose suivante : « Le principe du droit pénal, qui est un droit pratiquement étanche par rapport aux autres (il tient très peu compte, dans son application, des autres branches du droit) est qu'il s'applique à tous, sans distinction, et que l'on peut donc théoriquement en déduire qu'un auteur qui aurait donné, par le biais de son récit, des informations utiles à la perpétration d'un délit s'en voie accusé de complicité. »
Maître Garcia explique aussi dans la note juridique qu’elle m’a envoyée : « C’est la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui définit le principe fondamental de la liberté d’expression. Cette loi pose également le principe de responsabilité civile et pénale (du directeur de publication ou à défaut l’éditeur, et l’auteur ; à défaut, l’imprimeur, le vendeur, le distributeur ou l’afficheur) et impose un cadre légal à toute publication, ainsi qu’à l’affichage public, au colportage et à la vente sur la voie publique. »
Elle ajoute également qu’il existe des limites à la liberté d’expression, posées par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Si vous voulez en savoir plus, je vous renvoie sur le dossier de Légifrance : Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Ceci est un dossier bien rempli mais nous allons nous concentrer sur les provocations aux crimes et aux délits. Car nous, les auteur(e)s, nous aimons faire des recherches afin de rendre nos écrits réalistes. Quelle réputation aurions-nous si notre personnage parvenait à crocheter une serrure grâce à une patate ? Les lecteurs se moqueraient de nous, n’est-ce pas ? (Ne me dites pas que c’est possible, par pitié). Sérieusement, qui achèterait un livre truffé d’incohérences de toutes sortes ? Personne. Le lecteur n’aime pas être pris pour un idiot non plus et il a raison.
Nous sommes donc un peu obligés de dire la vérité sur quelques aspects délictuels pour écrire un roman policier par exemple. Courrons-nous un risque pénal ? Jusqu’où s’étend notre responsabilité ? Voyons cela plus en détail.
Maître Leclercq répond ceci : « En pratique, la chose me semble cependant exclue, sous peine d'accuser (en leur temps) Alexandre Dumas de complicité de recel (pour "Les trois mousquetaires" et le chapitre sur les ferrets de la reine), ou Victor Hugo pour l'usurpation d'identité (pour "Les misérables" et la double identité de Jean Valjean). La liberté d'un auteur fait que, à mon sens, personne ne pourra lui reprocher d'avoir décrit une technique infractionnelle dans une de ses œuvres, pour une raison simple : il y manque l'intention délictuelle. »
(Pour information, le recel est, toujours selon le CNRTL, un délit consistant à détenir sciemment des objets provenant d'une infraction ou à donner asile à des personnes responsables d'infraction.)
Dans la note juridique, il est dit que « L’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 punit comme complice d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, par un écrit publié, auront directement provoqué l’auteur de crime ou de délit, à commettre ladite action, que la provocation ait ou non été suivie d’effet.
Pour que la provocation donne lieu à une répression pénale, il faut qu’il y ait une relation précise et incontestable et un lien étroit entre le fait de la provocation et les crimes qui sont visés dans la prévention. Les écrits doivent constituer une incitation directe à commettre le crime ou délit en cause. Ils doivent être suffisamment précis pour tendre à la perpétration d’une des infractions visées à l’article 24 de la loi. Il faut par ailleurs une intention coupable de la part du provocateur, une volonté de sa part, de créer, par un acte constituant la provocation directe au crime, l’état d’esprit propre à susciter ce crime.
La jurisprudence exige la réunion de toutes ces conditions, étant précisé que les cas, en jurisprudence, sont particulièrement rares. »
L’avocate dit elle-même dans sa note « la simple description de la commission d’un crime ou d’un délit, de technique de fraude, de scènes de crime, de mode opératoire criminel, etc. dans un roman policier, relevant de la pure fiction, ne suffit pas à caractériser par une provocation au sens de la loi, tant en raison du caractère imprécis et purement fictif des écrits, qu’en raison de l’absence d’élément intentionnel de la part de l’auteur. »
C - Alors sommes-nous sauvés, nous les auteur(e)s ?
Je ne parle pas uniquement des auteurs de fictions. Je parle également de ceux qui écrivent des essais ; eux aussi sont auteur(e)s.
Si je pointe cet aspect du doigt, ce n’est non pas sans raison. Maître Leclercq met en garde avec l’affirmation suivante : « Par contre, la réponse est totalement différente dans un essai ou un livre de propagande. Si un livre incite à la xénophobie, au racisme, à la haine raciale, il est certain que l'auteur en verra sa responsabilité pénale engagée. À titre d'exemple et au procès de Nuremberg, le livre "Mein Kampf" a été invoqué à l'appui de l'accusation, car dans ce cas l'intention criminelle, de même que la volonté d'y inciter, étaient manifestes. »
Je suis vraiment désolée de faire autant de copier-coller d’extraits de textes ou de propos. J’en ai un peu honte, mais je ne voulais en aucun cas déformer les propos des avocats, même involontairement.