Alors que Sorrento et Enliana vaquaient à leurs occupations, les hommes accompagnèrent Julian dans son séjour pendant que les femmes sortirent se promener sur le pont. Thadeus remit l’histoire du chèque sur le tapis. Il ne comprenait pas les idéaux d’Enliana.
« Tu sais aussi bien que moi que j’ai raison Julian. Sans vouloir passer pour un ingrat, les gens vont vraiment avoir besoin d'argent pour reconstruire leurs villes.
— Je le sais Thadeus.
— Tu te figures que Julian a les fonds pour toutes les villes endommagées ? Il va vite se retrouver ruiné !
— Je ne ferai que les côtes en premier lieu. Et puis ma compagnie se porte bien. Même si je dépense, l’argent reviendra assez vite.
— Je ne suis pas certain que ton père approuverait, fit Nereus.
— Il y a des choses auxquelles il tenait : être responsable et avoir le cœur sur la main quand il le fallait.
— Je ne comprends pas. Tu n’es en rien responsable de ce qui est arrivé à ces malheureux.
— Là-dessus je suis d’accord avec Nereus. Pourquoi devrais-tu débourser pour des gens que tu ne connais même pas ?
— Pourquoi ne le ferais-je pas ? C’est à moi de décider ce que je fais de ma fortune.
— Entendu, approuva Nereus, mais prends garde à ne pas te retrouver sur la paille.
— Ne t’inquiète pas pour ça, je reste vigilant sur les comptes.
— Au fait dis-moi Julian, elle est libre Enliana ?
Le jeune homme fut surpris par cette interrogation soudaine.
— Je ne sais pas vraiment. Peut-être.
— Ma question est simple. Est-elle en couple oui ou non ?
— Laisse-le tranquille Thadeus.
— Je veux juste savoir si j’ai une chance avec elle.
— Vu ton comportement lors du déjeuner, cela m’étonnerait.
— Mais il faut bien qu’elle redescende sur terre. Je lui parlerai tout à l’heure si je la croise.
— Je pense qu’elle s’est plus offusquée pour ta remarque sur la musique, expliqua Nereus. Elle a tout de suite défendu Sorrento. Ils sont peut-être plus que de simples amis.
— C’est le cas Julian ?
— Je l’ignore.
— Tu les connais au moins ces deux-là c’est sûr ?
— Sorrento, oui. Enliana est nouvelle parmi nous.
— Ah je vois. Depuis quand ?
— Quelques jours.
— Ah ! fort bien. Alors elle est libre. Et tu sais d’où elle vient ?
— Pas vraiment. Je n’ai pas voulu lui infliger un interrogatoire.
— Ah oui, le tact.
— Chose que tu ne connais pas mon frère.
— Mêles-toi de tes affaires, Nereus !
— Je pense sincèrement que si elle a pris la défense de Sorrento, ce n’est pas pour rien.
— Elle aurait été séduite par lui en si peu de temps ? Je n’y crois pas. Je vais aller la voir de ce pas ! »
Thadeus salua Julian puis sortit rapidement de la pièce, à la recherche de la jeune femme. Il espérait la voir assez vite. Il voulait bien lui présenter des excuses. C’était le seul moyen de l’approcher davantage. Il traversa le pont de long en large. Il ne la voyait pas. Il demanda à Amaranda et Celena si elles l’avaient vu mais il eut une réponse négative. Il chercha encore et encore, dans les couloirs, jusqu’à tomber sur elle. Elle sortait d’une chambre qu’elle referma à clef. Elle se dirigea vers un chariot plein de linge.
« Ah ! Enliana !
La jeune femme tourna la tête et vit le blondinet. « Oh non ! Qu’est-ce qu’il me veut encore ?! »
Thadeus se pressa vers elle.
— Mais qu’est-ce que vous faites ?
— Je mets du linge propre dans les salles de bain des chambres.
— Vous travaillez ici ?
— Oui, sous la direction de Monsieur Solo.
— Ah, je vois. Sorrento et vous êtes collègues.
— Pourquoi vouliez-vous me voir Monsieur Thadeus.
— Thadeus suffira. Je voulais vous présenter des excuses pour le déjeuner. Il n’y a rien de mal à rêver d'un monde idéal.
— Je ne veux pas forcément un monde idéal.
— D’accord, enfin comprenez que je ne souhaitais pas vous manquer de respect.
— Excuses acceptées, passez une bonne journée Thadeus.
Il la rattrape doucement par le bras.
— Non, s’il vous plaît Enliana. Laissez-moi une chance de vous donner une meilleure image.
— Dans quel but ? Je ne suis qu’une dame de chambre. Vous n’avez pas besoin de mon estime. Sorrento m’a donné un travail à faire. J’aimerais le poursuivre.
Le majordome arriva dans le couloir. Il ne restait jamais très loin d’Enliana, il préférait être à disposition. Et voir Thadeus l’avait un peu surpris. Il accéléra sa marche en affichant un air intrigué.
— Acceptez au moins de venir dîner avec moi ce soir. (Elle resta inerte durant quelques secondes.) Ne me dites pas que je vous dégoûte à ce point.
Sorrento arriva derrière lui.
— Il y a un souci Enliana ?
— Non, Thadeus s’apprêtait à partir.
— Très bien. Je ne m’avoue pas vaincu pour autant. »
Le blondinet s’éloigna sans adresser le moindre regard à Sorrento. Que comptait-il faire ? Le marina informa la demoiselle qu’il allait bientôt débarquer à Tarente. Plus que quelques heures à patienter. La demi-elfe était ravie de pouvoir poser le pied à terre. Et de voir un autre décor naturel contrairement à celui-ci. Plus tard Enliana descendit la passerelle du paquebot en compagnie du majordome. Lui aussi était content de pouvoir en sortir. Elle se tourna vers le navire et se rendit compte enfin de sa taille. Ce bateau était vraiment immense. « Tu comprends pourquoi il y a quasiment une ville entière dedans ? Viens, on va voir les gens. » lui fit Sorrento jovialement. Mais lorsqu’ils arrivèrent à quai, ils constatèrent l’ampleur des dégâts. Même si les gens avaient un peu déblayé les alentours, le spectacle était désolant à voir. Des ruines un peu partout et des gens à la mine tellement triste. « Je crois que c’est le moment d’aller cherche ta flûte. » affirma-t-elle. Mais il était encore trop tôt pour cela. Julian descendit à son tour avec Celena et les autres. Celle-ci voulait accompagner le propriétaire à la préfecture, là où il avait rendez-vous. Enliana s’interrogea. Elle pensait qu’il allait rester un peu avec eux.
« Où va-t-il ?
— Monsieur Solo a rendez-vous à la préfecture, répondit au loin Thadeus.
— Vous pouvez les accompagner si vous voulez.
— Non je vais rester avec vous. Dites-moi, vous êtes en couple ?
— Quoi ? fit Sorrento. Eh bien…
¾ Oui.
Le majordome se mit à rougir, son cœur s’accéléra.
— Depuis combien de temps ?
— Assez longtemps pour former un couple. Tu viens Sorrento ? On va chercher ta flûte.
Elle le prit par la main afin de l'attirer vers le bateau. Thadeus resta planté là, sans savoir quoi penser de cette réponse. Néanmoins il comprit rapidement qu’elle cherchait à l’éviter. Toutefois, il n’avait toujours pas dit son dernier mot.
— Mais enfin qu’est-ce que tu fais ? chuchota le marina.
— Je n’ai pas envie de me retrouver avec lui. Désolée de t’avoir gêné mais il n’y a que comme ça que je serai tranquille. Cet homme est un véritable pot de colle !
— Je n’étais pas gêné, juste surpris.
— Oui, c’est pour ça que tu ressemblais plus à un coquelicot qu’à un tournesol.
— Coquelicot, tournesol ? On dit rouge comme une pivoine ou une tomate.
— Je me rapproche de ce que je connais. Moi ce sont les coquelicots et les tournesols. Il y en avait dans mon champ.
— Ton champ ? Tu vivais dans une ferme ?
— Oui. Mon père possédait un champ de blé et un petit moulin pour faire de la farine. Je l’aidais lors de la récolte. Je me souviens j’avais ma propre pelle, elle ressemblait à une grande feuille. Et on avait un âne et des poules. C’était une jolie petite ferme.
— Oui je vois le genre, sourit-il.
— Tu m'imagines avec cet homme franchement ? Nous ne faisons pas partie du même monde.
— Oui, mais il pourrait t’offrir beaucoup.
— Sûrement qu’il pourrait m’offrir plus qu’un homme de classe moyenne. La question c’est : est-ce que c’est ce que je veux ? Pas forcément. Et je n’aime pas sa manière de s’incruster.
— Il cherche après toi. Tu lui plais.
Elle fronça les sourcils.
— C’est pas réciproque ! »
Ils marchèrent jusqu’à leur chambre. Il prit sa flûte, elle son sac puis ressortirent rapidement. Une fois sur la terre ferme, ils s’enfoncèrent dans la foule pour trouver un coin propice à son art. « Tu as déjà entendu ma symphonie Enliana ? Je vais te la jouer. » Sorrento souffla dans son instrument en modifiant quelques paramètres afin de ne blesser personne. Il s’agissait de sa Dead End Symphony, le but n’était pas de tuer qui que ce soit cette fois. Elle l’écouta attentivement et se laissa transporter. Malgré ses yeux fermés, elle voyait encore le jeune musicien bien distinctement. Son cœur s’emballa sans crier gare. Non. Ce n’était pas possible. Ce n'’était qu'une blague tout à l’heure, elle ne ressentait pas vraiment cela en fait, si ? Ou est-ce la musique qui lui procurait cet effet ? Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle vit un attroupement autour de lui. Les gens paraissaient curieux, les enfants souriaient, les femmes étaient charmées. Sa musique remettait de la joie dans leur triste quotidien.