Décidément la demi-elfe avait un mal fou à choisir ses vêtements. Sorrento lui conseilla la robe longue, rouge à manches courtes. Il entoura sa taille par une ceinture dorée. Il lui proposa également un collier et des boucles d’oreilles.
« Bah ? d’où tiens-tu cette parure ?
— C’était celle de ma mère. Elle est assez simple mais elle ira très bien avec ta robe.
La jeune femme fut soulagée par cette réponse. Cela l'aurait ennuyée qu'il fasse un nouvel achat spécialement pour elle. Dommage qu'elle n'ait plus son pendentif.
— Je vais ressembler au sapin que certains mettent lors de la fête de l’hiver.
— Tu as de la chance. Tu n’as pas besoin d’avoir les oreilles percées pour les boucles.
— Tu es bien gentil mais je ne peux pas porter la parure de ta mère. Ce n’est pas à moi.
— Elle me l’a donné dans le but de la remettre à ma future femme. Je te la prête pour le déjeuner.
— Bon, si c’est juste un emprunt, d’accord.
Elle mit les boucles d’oreilles tandis qu’il se tortillait afin de pouvoir la parer du collier.
— Arrête de bouger, je n’arrive pas à te le mettre.
— Oh ! mais j’étais déjà en train d'accrocher les boucles.
— Reste tranquille quelques secondes, je n’en ai pas pour longtemps. (Enliana prit sur elle afin de bouger le moins possible. Il referma le fermoir.) Voilà, tu vois ce n’était pas si terrible.
— Merci. Je peux mettre les boucles maintenant ? »
Pas le temps de contempler la demoiselle, ils devaient repartir à la salle à manger pour accueillir les invités. Les regards étaient tout aussi insupportables pour Enliana. Le charme des elfes, parfois elle maudissait ce don ! Ou peut-être est-ce elle qui ne savait pas le contrôler ? Sa mère avait-elle déjà eu ce genre de problème ? Aux enfers c’étaient les cris qu’elle ne supportait pas. Y aura-t-il un moment où elle se sentira enfin à l’aise ? La sérénité l’avait quittée depuis trop longtemps à son goût. Elle espérait tellement passer inaperçue lors du diner, qu’on ne lui pose pas de questions, qu’on ne s’adresse même pas à elle. Sorrento rouvrit la porte de la salle à manger. Ils entrèrent et patientèrent à l’intérieur. Le majordome ne bougeait plus. Il ne fallait pas compter sur Enliana pour rester planter là à attendre que le temps passe. Elle balaya la pièce du regard et un objet sphérique sur un support en bois retint son attention. Elle s’en approcha curieusement et posa les doigts dessus.
« Prends garde à ne pas le casser.
— C’est quoi ce truc ? C’est votre monde ?
Il s’approcha d’elle, craignant une éventuelle catastrophe.
— C’est un globe terrestre. Oui c’est une vision de notre monde, une carte.
— Oui j’avais remarqué, merci. On est où nous ?
Il lui montra un point sur la mer entre la Grèce et l’Italie.
— Nous sommes ici.
— Votre monde a l’air tellement grand. Il serait facile de s’y perdre.
— Tu comprends pourquoi je ne veux pas que tu partes toute seule ? »
Elle n’eut pas le temps de répondre, des gens entrèrent dans la pièce. Ce n’était pas encore les invités, juste des membres du personnel venus pour assurer le bon déroulement du repas. Ceux-ci furent surpris de voir la jeune femme déjà présente. D’ordinaire les convives arrivent en même temps que Monsieur Solo. Soit. Le personnel se plaça autour de la table et se tint prêt. Quelques minutes plus tard, Julian arriva avec ses hôtes. Chacun s’installa à une place, aidé par un serviteur. Sorrento poussa la chaise d’Enliana de façon très galante et s’assit à sa gauche, près de Julian. Qui étaient ces gens ? Pourquoi les regards étaient rivés sur elle une nouvelle fois ? Malgré son chignon bien soigné, voyait-on encore ses oreilles pointues ? Pourquoi Julian l’avait-il invité ? Elle aurait préféré manger ailleurs, loin de ces gens de l’aristocratie. Le jeune propriétaire fit les présentations. Enliana les salua discrètement. Assis en face d’elle, un homme aux longs cheveux blonds, de carrure moyenne et vêtu d’un costume gris la dévisageait. Il s’appelait Thadeus. Chaque fois que la demi-elfe regardait en face d’elle, elle pouvait être certaine de croiser ses yeux bleus. Il y avait un autre homme à côté de lui à sa gauche, cheveux courts et châtains avec aussi des yeux bleus. Celui-là s’appelait Nereus. Il portait un costume vert qui lui allait plutôt bien. Et ce qui ravit Enliana c’est qu’il ne passait pas son temps à la fixer. Non, il n’y avait que Thadeus qui l’ennuyait vraiment. Le personnel amena les entrées dans de belles assiettes blanches en porcelaine : feuilletés aux épinards et à la feta. Enliana coupa complètement le sien avant de l'avaler.
« Vous avez une manière assez étrange pour manger ce feuilleté, lui fit remarquer Thadeus. Regardez comment vous l’avez arrangé alors qu’on vous avait fait une si belle présentation.
Enliana le regarda avec des rondelles de carottes. « Mais qu’est-ce qu’il me veut celui-là ? »
— Et alors ? Le résultat sera bien pire dans mon estomac. D’ailleurs je ne comprends pas pourquoi on perd du temps à faire une « belle présentation » alors que ce sera vite englouti.
Sorrento cacha son visage, non par honte mais pour dissimuler un sourire complice. Il ne pouvait pas cautionner cela ouvertement en présence de Monsieur Solo. Le jeune blond ne savait comment réagir.
— Il semblerait qu’elle t’ait cloué le bec, lui affirma son frère.
Thadeus passa d’un regard stupéfait à un visage doux.
— Ce n’est pas grave, je la trouve bien mignonne quand même. Joli minois mais avec du caractère. Je ne peux rester indifférent. (Elle leva les yeux au ciel avant de fixer son assiette. Sorrento n’avait pas apprécié cette remarque déplacée. Il ne la connaissait pas du tout et voilà qu’il lui fait la cour ? Si le marina ne disait rien c’est parce que c’était un ami de Julian. Du coup, il ne pouvait se le permettre.) Oh je suis navré si je vous ai offensé Enliana.
— Thadeus a toujours du mal à faire preuve de tact, en particulier lorsqu’il voit une jolie femme.
— Je te demanderai de bien vouloir te mêler de tes affaires, Nereus.
— S’il vous plait, reprit Julian, calmez-vous. Nous arriverons bientôt en Italie alors faisons en sorte que le voyage reste agréable.
— Où allons-nous Julian ? questionna Celena, la jeune sœur, avec une grande attention.
Celle-ci était assise à la gauche de Julian qui, lui, était en bout de table.
— Nous nous arrêterons au port de Tarente. D’après les médias, il y a eu beaucoup de dommages de ce côté du pays. La musique de Sorrento apportera du réconfort à ses habitants.
Thadeus eut une réaction assez dédaigneuse.
— Soit, de la musique pourquoi pas ? Mais à mon avis, un beau chèque aura plus d’effet sur eux.
— Sorrento est un très bon musicien, s’indigna la demi-elfe.
— Je ne voulais pas offenser votre ami, ma chère Enliana.
— Juste Enliana, ça suffira.
Thadeus eut un sourire jaune. Le majordome observa sa voisine tout en restant sans voix.
— Enliana. Mais ce que les gens voudront c’est qu’on puisse réparer les dommages le plus rapidement possible. Je doute que la musique de Sorrento, aussi magistrale soit-elle, ait le même effet. Cela ne durera qu’un temps. Lorsque votre fameux musicien arrêtera sa musique, la magie disparaîtra. Une belle enveloppe aura plus d’effet sur le long terme.
— Pourquoi vous parlez d’argent ? Vous pensez réellement que des pièces froides peuvent tout résoudre ? Croyez-vous que quand vous ne vous sentez pas bien, ce sont des pièces qui vont vous réconforter ?
— Une idéaliste, pensa-t-il. Je crois que vous n’avez pas compris ce que j’ai voulu dire.
— Si j’ai très bien saisi. Je ne suis pas aussi idiote que vous le pensez.
— Oh ! je ne me permettrais pas de…
— De m’offenser ? Vous l’avez déjà fait à deux reprises, pourquoi pas une troisième ?
Thadeus se retrouva troublé tout à coup.
— En effet elle a du caractère mon frère. Pouvons-nous maintenant poursuivre ce déjeuner dans une ambiance plus agréable, comme l’a suggéré notre hôte ? »
Le repas se passa d’abord en toute discrétion. Nereus prenait la parole de temps à autre pour briser ce silence pesant. Amaranda, sa petite amie, apprécia son initiative. Quant à Enliana, elle préféra fixer son assiette en devinant le regard de Thadeus constamment sur elle mais peut-être pour une autre raison finalement. À la fin du déjeuner la demi-elfe prit Julian en retrait afin de lui présenter des excuses pour son comportement. Néanmoins il n’en tint pas rigueur car il admettait que parfois Thadeus avait besoin d’être remis en place. Disons qu’il se revoyait quelques semaines avant lorsqu’il avait fait sa demande en mariage à Saori. Chose que Celena ne comprit pas du tout. Pourquoi épouser une inconnue ? Julian avait gagné en maturité après cette triste aventure. Enliana repartit avec Sorrento pendant que le personnel débarrassait la table.
« Je me sens quand même un peu sotte d’avoir réagi ainsi. J’ai donné une mauvaise impression face aux amis de Monsieur Solo.
— Ne t’inquiète pas. Il n’avait pas l’air de t’en vouloir. Les aristocrates n’ont pas l’habitude des paroles aussi directes. Ça lui a fait un drôle d’effet à Thadeus, se moqua le majordome.
— Ce type je ne le supporte pas ! Tu as vu comment il n’arrêtait pas de me fixer ? C’était vraiment embarrassant pour moi.
— Je crois que Monsieur Solo voulait simplement te présenter à eux. Peut-être que nous ne les verrons plus, ou moins souvent maintenant.
— Je l’espère. »